IV - LES DIFFÉRENTES APPELLATIONS DONNÉES A 'ISSA
1 - Ilâh - Le cas de Hallâj-ı Mansur
Cette
secte, on le sait, attribue au Messie le nom de Dieu (Ilâh), Son but
est-il de le magnifier en considérant que le terme “Dieu” se dit de tout
ce qui est grand, ou bien veulent-ils signifier par là proprement sa
divinité?
Dans ce dernier cas, l’aveuglement de cette secte
dépasserait celui de toutes les autres, et ce qui les fait choir dans de
telles difficultés, c’est leur attachement à un littéralisme que la
saine raison affirme absolument étranger aux intentions de l’auteur.
D’ailleurs combien ne trouve-t-on pas dans toute religion révélée de
sens apparents qui s’opposent à la saine raison, mais que les docteurs
de cette religion ont expliqués allégoriquement?
C’est dans des
difficultés de ce genre que sont tombés un certain nombre de personnages
illustres, dont l’un a dit: “Gloire à moi!”, l’autre: “Que je suis
grand!”, et Hallaj: “Je suis Dieu!”, “Dans cette tunique, il n’y a que
Dieu!” Cela a été mis de leur part sur le compte des états mystiques qui
restreignent le contrôle du langage, au point que l’on a pu dire: “Ceux
là sont ivres! et les propos des gens ivres, on les tait et on les
rapporte point”. Cela s’impose parce que la saine raison déclare
impossible que le sens littéral soit voulu par l’auteur.
De plus
ils ont l’air de s’encourager à marcher dans un chemin des plus
étroits, au point de devenir la risée des railleurs sans que nul
tressaillement de solidarité ne dresse personne pour les défendre. Une
porte de sortie, cependant et une échappatoire leur seraient données,
s’ils le voulaient, pour sortir du mauvais pas où ils se sont mis.
Pourquoi, en effet, choisir ce qui offusque la raison, quand il est
possible d’entendre le texte dans un sens correct ?
2 - Rabb
Ps. 82-6 Ex. 7-1
Pour
l’emploi du mot “Holûl”, nous l’avons déjà élucidé. Quant au mot
“Rabbi”, Seigneur, c’est un terme commun à la fois à Allahu ta’âlâ et au
propriétaire d’une chose. On dit le “Rabb” d’une maison, le “Rabb” d’un
bien. Enfin le mot “Ilâh”, (Dieu), est employé chez eux pour tout ce
qui est grand. 'Issa (as) dit en effet dans l’Evangile: “Vous avez été
apelés, dans votre religion, des “dieux (Alihat)” cela en s’adressant
aux Juifs; et l’on trouve dans les Psaumes: “Je vous ai apelés des dieux et vous êtes tous des fils du Très-Haut”; et Dieu, dans la Thora, dit à Moûçâ: “Je t’ai établi dieu pour Pharaon et ton frère Aaron sera ton envoyé”.
De plus on applique le nom de Dieu (Ilâh) à quiconque est adoré — à
tort ou à raison. Vraiment celui qui est engagé dans un chemin
impraticable, s’il trouve l’occasion d’en sortir, sa persévérence dans
l’erreur est de l’aveuglement.
Paul a donné toute cette
explications dans sa seconde lettre au chap. IX de ses épîtres, d’une
manière qui ne laisse subsister aucun doute, sauf pour celui qui aurait
perdu ses deux guides, la Raison et la Science. Il dit donc:
I Cor. 8.4-6
“Il
n’y a d’autre divinité que Dieu seul, quoiqu’il y ait différents êtres
sur terre et au ciel qui s’appellent des dieux; et alors qu’il y a
beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs, nous n’avons nous qu’un seul
Dieu, qui est Dieu le Père, de qui viennent toutes choses et nous
sommes en Lui, et un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, qui tient
toutes choses en ses mains, et nous sommes nous aussi en sa puissance”.
Cette
démonstration est vraiment admirable! Il y met en lumière comment les
termes “Dieu” et “Seigneur” s’appliquent également au Dieu (véritable)
et à d’autres qui n’ont aucun droit à être adorés. Puis, il attribue au
Dieu adoré la qualité de Créateur, qui a droit à l’adoration, et il fait
dériver de Lui l’existence de toute chose en disant: “De qui est toute
chose et nous, nous sommes en Lui”. Il déclare ensuite que c’est là le
vrai Dieu et il chante sa louange en proclamant son unicité par ces
paroles: “Pour nous, nous ne reconnaissons qu’une seule divinité, et
c’est Dieuà tout autre le droit à la divinité, en disant: “Il n’y a de
divinité que Lui seul”! Il a désigné après cela le Messie, en lui
donnant le nom de “Rabb”, Seigneur, dont nous avons expliqué
l’ambiguité, l’employant (lui) aussi au sens de “Propriétaire”, comme
l’indique le fait qu’il ne lui prête aucun des attributs d’Allah dont il
vient de parler mais seulement une main “possédante” (la puissance de
posséder) dont c’est le propre d’être attribuée au possesseur.
Toutes
ces indications sont admirables. L’homme intelligent n’a pas de peine à
les saisir et à les admettre. Je voudrais bien savoir de quelle manière
cette Loi religieuse a été établie sur des absurdités aussi grossières!
L’ignorance les a entraînés, ainsi que l’insolence à l’égard d’Allahu
ta’âlâ, de ses Prophètes, ces guides du peuple, des saints, ses intimes,
jusqu’à forger dans leur esprit des fables qu’ils se sont racontées,
les uns aux autres. Ainsi, ils sont d’accord pour dire que les enfants
d’Adam ont été punis du fait de la désobéissance de leur premier père;
et que tous les Prophètes et les Saints ont été précipités en Enfer.
Ensuite que leur Dieu leur a promis de les racheter; qu’il les a payés
d’une rançon généreuse; mais que la parfaite générosité chez celui qui
rachète, consiste à se livrer soi-même. Or, comme son essence est
simple, et ne saurait ainsi souffir dommage ni peine, Dieu s’est uni à
l’humanité de Hadrat ‘Isâ. Cette humanité à laquelle il s’est uni a été
ensuite crucifiée, et sa crucifixion est la cause du salut des prophètes
et des saints et de leur délivrance de l’Enfer! Oui, par Allah, le
TRès-Haut, on ne peut trouver de gens aussi sots!
3 - Les noms de “Fils” et de “Père”
Quand
à vouloir attribuer, comme ils le font, à Dieu le Très-Haut la
Paternité et la Filiation à Î’sa aleihissalâm, dans l’espoir d’y trouver
quelque avantage, ou d’établir une propriété qui entraînerait le
privilège en question, en fait, il ne leur sert de rien. La preuve en
est que dans la Thora, au contenu de laquelle ils ajoutent foi, il est
dit: “Israël, mon fils aîné”; et aussi: “Dis à Pharaon que si tu n’envoies pas mon fis aîné adorer dans le désert, je tuerai ton fils aîné”,
voulant désigner par là le peuple d’Israël. Or, leur nombre était alors
600.000, sans compter les femmes et les enfants. Voilà comment
s’exprime la Thora.
Ps. 82-6
Jo. 20-17
Dans les Psaumes de David — David d’après eux ne s’exprime dans ses Psaumes que sous l’inspiration divine — on trouve aussi: “Vous êtes tous les fils du Très-Haut! Et Hadrat Î’sa s’est appliqué ce même langage, à lui et aux siens, en disant: “Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu”. Croire encore que l’auteur de ces paroles puisse être Dieu, c’est vraiment s’égarer loin de l’évidente vérité.
En outre il a appliqué ce langage à ses seuls auditeurs, lorsqu’il dit dans l’Evangile de Luc:
Lc.6:35-36
I. Jo. 5-1
“Ne
coupez l’espérance de personne, votre récompense sera grande et vous
serez les fils du Très Haut, car il est miséricordieux envers les
non-misericordieux et les méchants; soyez vous-même miséricordieux comme
votre Père.”
Son disciple Jean a usé du même langage
quand il eut compris le sens métaphorique que nous allons indiquer. Il a
dit en effet dans son Epître: “Celui qui reconnaît que Jésus est le Messie celui-là est né de Dieu”.
Le sens dans lequel il a employé cette métaphore, tout en certifiant
qu’il ne l’entendait pas dans son sens littéral, est qu’un Père est par
nature porté à une grande tendresse, clémence, miséricorde et pitié
envers son fils, qu’il est attentif à attirer sur lui toutes sortes de
biens et à en détourner toutes sortes de maux, qu’il s’efforce de le
guider dans les chemins du bonheur, qu’il le pousse de s’y engager,
qu’il s’empresse de le prémunir contre ce qui aboutit au châtiment à
l’infamie, à quelque dommage persistant ou à quelque aveuglement
d’esprit qui lui voilerait la cause de dommage plus grand dans l’avenir.
Voici la nature du père, telle que nous la voyons.
Quant
au fils, sa nature est d’être respectueux envers son père, déférent à
son égard, plein de retenue en sa présence, docile à ses ordres, les
accueillant avec des marques de révérence et de respect, n’y
contrevenant point, se tenant à ce qu’il lui prescrit et lui défend.
Or,
pour Allahu ta’âlâ, si l’on considère sa bonté envers tout être, sa
miséricorde et sa compassion à son égard, les biens qu’il lui promet et
les maux qu’il écarte de lui, la révélation qu’il lui fait enfin de ce
qui convient à sa majesté, les moyens qu’il lui donne de s’en acquitter,
alors, en regard de cela, ce que fait un père de la terre, apparaît
bien insignifiant et méprisable.
D’un autre côté, la
respectueuse attitude des prophètes envers Dieu, leur retenue avec lui,
leur docilité à ce qu’IL commande, leur soumission à ce qu’Il défend,
leur révérence à son égard est chose plus admirable que la conduite des
enfants envers leur père. Dieu est ainsi pour eux le plus miséricordieux
des pères et ils sont pour lui les plus pieux des fils. C’est là le
sens profond de la métaphore lorsqu’on emploie ces termes. Donc, lorsque
Hadrat 'Issa use de la métaphore en appliquant le mot “Père” à Dieu, le
sens en est que Dieu est miséricordieux et bienveillant à son égard; et
quand il s’applique à lui-même le mot “Fils”, le sens en est qu’il est
plein de profond respect et de révérence pour Allah. C’est ainsi
également qu’il faut entendre ses paroles, quand il exhorte à ne pas
ôter l’espérance. Il veut dire: “si vous Lui obéissez en tous ces
préceptes, Il vous traitera comme le père traite son enfant”. C’est
aussi le sens des paroles de son disciple: “Celui-là est né de Dieu...”
Voilà donc le mystère de ces expressions que les Prophètes avaient
pénétrées. Aussi leur fut-il permis de le faire passer dans leur
langage, se fiant à l’intelligence de celui que son discernement saurait
préserver des imaginations trompeuses. Et voici maintenant que les
Chrétiens eux-mêmes en viennent à employer ce terme couramment. En
effet, s’ils voient un religieux ou un prêtre, ils lui disent: “Notre
Père”, alors qu’il n’est pas réellement leur père. Mais ils ont dans
l’esprit, en recourant à cet emploi, ce que nous avons indiqué,
c’est-à-dire qu’ils assimilent, pour ses sentiments de compassion, le
prêtre à un père, et qu’ils s’assimilent eux-mêmes, par le respect
qu’ils lui portent, à des fils.
Ps. 103-13
David, lui aussi, a exprimé dans ses Psaumes ce que nous avons signalé. Il dit: “Comme un père est compatissant envers ses enfants, de même le Seigneur se montre compatissant envers ceux qui le craignent”.
Il
suit de ce que nous avons dit que le terme de “Fils” attribué à Î’sa ne
contient aucune particularité qui le mette à part des autres.
Jo. 1-12
L’Evangile lui-même confirme clairement cette interprétation par ces paroles: “Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu”,
c’est-à-dire il leur a donné de pouvoir bénéficier des dispositions
indiquées ci-dessus et qui dérivent de la Paternité, suivant
l’explication fournie.