David et Goliath ou le mythe historique inversé |
Shlomo Sand.
Vendredi, 30 Janvier 2009 09:44 |
Depuis l’origine de son entreprise de colonisation, il y a à peu
près un siècle, le mouvement sioniste, et l’Etat d’Israël par la suite,
s’est vu comme une minorité persécutée et faible, aspirant à se faire
une place au soleil. Brandissant la Bible comme droit de propriété et
portant en bandoulière le terrible capital de souffrance des pogroms et
des massacres nazis, le projet sioniste a réussi au-delà de tout
pronostic : il a fondé un « petit Etat juif » au cœur et aux dépens
d’une population arabe infiniment supérieure en nombre.
Source: www.monde-diplomatique.fr
De nos jours, les historiens savent que, dès la guerre de 1948, le
rapport des forces militaires penchait déjà en faveur du jeune Etat,
bien au-delà de la représentation que s’en firent les premiers
israéliens. Lors des trois guerres suivantes : 1956, 1967 et 1973, la
puissance des forces armées israéliennes s’était encore notablement
accrue et, à l’aide d’armements fournis par la France puis par les
Etats-Unis, elle s’imposa face aux forces arabes qui lui étaient
opposées.
Toutefois, depuis la guerre de Kippour, en 1973, l’armée israélienne
n’est manifestement plus confrontée à une menace militaire sérieuse ;
et de même, depuis lors, l’existence d’Israël ne s’est plus trouvée en
danger. Les pilotes de l’armée israélienne ont cessé, depuis longtemps,
d’accomplir des missions de combat ; à l’instar de la majorité des
soldats, ils effectuent essentiellement des tâches de police. Force est
de reconnaître que les principales missions dévolues à l’armée d’Israël,
dotée des armes américaines les plus sophistiquées
(chasseurs-bombardiers, drones, fusées guidées, tanks, gilets pare
balles…) consistent à réprimer la population des territoires occupés qui
de temps à autre tente, de façon désespérée et violente, de se révolter
contre son triste sort.
« Tout Etat normal a le droit de défendre ses frontières et de
répliquer lorsqu’il subit des bombardements de roquettes », affirment
les porte-parole d’Israël dans leurs vibrantes justifications de
l’agression brutale contre Gaza. « Certes », pourrait répondre le
premier contradicteur venu, « mais tout Etat normal sait aussi où sont
ses frontières ! ». Or, Israël ne satisfait pas à ce critère de logique
politique de base. Depuis 1967, il n’a pas cessé d’implanter des
colonies dans des territoires qui ne sont pas reconnus comme lui
appartenant, tout en se gardant, par ailleurs, de les annexer
juridiquement afin de ne pas devoir accorder l’égalité civique à leurs
habitants.
Si, jusqu’en 2002, Israël a pu justifier l’occupation de ces
territoires au motif que le monde arabe n’est pas disposé à reconnaître
son existence, cette ligne de défense rhétorique est tombée lorsque la
Ligue arabe, incluant l’Organisation de la libération de la Palestine
(OLP), a déclaré reconnaître Israël dans les frontières de 1967. L’Etat
d’Israël n’a aucunement relevé ce défi diplomatique que tous ses
dirigeants ont superbement ignoré. Il s’est retranché derrière une haute
muraille de béton, tout en continuant de mordre dans les terres
palestiniennes, d’élargir ses colonies et de maintenir son contrôle et
sa présence militaires sur toute la Cisjordanie
« Nous sommes sortis de Gaza », affirme Israël. « Alors, pourquoi
les Palestiniens continuent-ils de nous attaquer à partir de là ? ». En
fait, le retrait israélien de Gaza n’a constitué ni un geste envers les
Palestiniens ni un premier pas vers la paix. Bien au contraire ! Tout
comme M. Ehoud Barak a effectué le retrait du Liban sans accord afin de
se soustraire à toute discussion sur l’évacuation du plateau du Golan,
M. Ariel Sharon est sorti de la bande de Gaza pour ne pas avoir à
conclure avec les Palestiniens un accord de paix qui aurait également
comporté l’évacuation complète de la Cisjordanie et la renonciation à la
partie arabe de Jérusalem. En fin de compte, les habitants du sud
d’Israël qui subissent les bombardements de roquettes paient le prix
fort pour préserver l’intégralité et la tranquillité des colonies.
En vérité, Israël n’a jamais réellement quitté Gaza et n’a jamais
accordé aux Palestiniens qui y résident ne serait-ce qu’un semblant de
souveraineté. Dès l’origine, l’intention était de créer une vaste «
réserve indienne » enclose, préfigurant l’instauration d’autres «
réserves » similaires en Cisjordanie ; au cœur d’Eretz Israël. Si les
Palestiniens disposaient au moins d’une authentique poignée de
souveraineté sur une parcelle de territoire, ils ne se verraient pas
accusés d’introduire en contrebande des armes dans une zone relevant
officiellement de leur autorité ; ils le feraient en pleine légalité et
Israël serait obligé de reconnaître la légitimité de leur Etat. En fait,
Israël récuse toute notion d’égalité, même fictive, entre elle-même et
les Palestiniens : elle leur dénie tout droit de se défendre. Le droit
de se défendre doit demeurer un privilège israélien exclusif. C’est
ainsi qu’Israël a catégoriquement rejeté la proposition faite par le
Hamas d’une accalmie générale, incluant la Cisjordanie, où l’Etat hébreu
continuait de pratiquer sans retenue les « assassinats ciblés » de
Palestiniens armés. Il est donc reconnu et admis que le droit d’Israël «
de se défendre » implique la neutralisation totale de toute force de
résistance palestinienne.
Ce fut pour Israël une véritable aubaine de voir le Hamas remporter à
Gaza les élections dont le caractère légal et régulier a été reconnu.
Le refus de l’OLP d’accepter le verdict des urnes entraîna la scission
du camp national palestinien et la création de deux zones d’influences
distinctes. Gaza s’en trouva plus isolée, plus étranglée, plus violente
et, surtout, plus ostracisée aux yeux du monde occidental. En
Cisjordanie, où l’on souriait encore à Israël, des pourparlers de paix
s’ouvrirent avec les Palestiniens « modérés ». L’humiliation et
l’absence de contenu effectif des interminables discussions avec
l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas ne suscitèrent pas la moindre
tendance au compromis et eurent pour seul effet de conforter le Hamas
intransigeant. Tout Palestinien raisonnable est à nouveau porté à se
dire qu’Israël n’a cessé de duper l’Autorité palestinienne, administrant
la preuve que le seul langage qu’il entende est bien celui de la force.
« Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument », a
déclaré, en son temps, Lord Acton. Israël dispose d’un pouvoir absolu
comme vient de l’illustrer sa récente agression contre Gaza. Israël a
également montré que, pour économiser la vie des « soldats juifs », elle
est prête à sacrifier plusieurs centaines de civils « non juifs ». La
majorité des victimes à Gaza ont été des femmes, des enfants, des
vieillards. La plupart des combattants Palestiniens ont été tués dans
les bombardements aériens, par des tirs d’hélicoptères ou d’artillerie
effectués depuis les tanks ou les navires de guerre, bien avant l’entrée
en lice des forces d’infanterie terrestres. Ce type d’affrontement n’a
pas empêché les communicants israéliens de magnifier avec fierté la «
victoire sans précédent ! ».
Non loin des lieux mêmes où la mythologie biblique en avait fait le
récit, le géant Goliath est revenu, équipé, cette fois-ci, d’une énorme
panoplie militaire. Mais les rôles sont désormais inversés : Goliath est
devenu « juif » et il est le « vainqueur ». Le petit David est
maintenant un « musulman », réprouvé et piétiné lors d’affrontements
interminables. Il faut bien, hélas, le reconnaître : c’est précisément
cet énorme déséquilibre des forces entre Israël et les Palestiniens qui
perpétue l’occupation de la Cisjordanie et rend la paix impossible.
Le dernier massacre à Gaza, qui répondait, entre autres, à des
objectifs électoraux, n’aura aucunement fait évoluer la situation dans
le bon sens et, a fortiori, n’aura pas conforté le droit d’existence
d’Israël au Moyen-Orient. Tant que les Israéliens ne voudront pas se
souvenir que les tireurs de roquettes artisanales sur la ville
d’Ashkélon sont aussi les fils et les petits-fils de ceux qui en furent
expulsés vers Gaza en 1950, il n’y aura pas d’avancée dans la solution
du conflit. Celle-ci implique, en effet, de mieux comprendre la profonde
colère de ceux qui subissent l’occupation, depuis au moins quarante et
un ans ! Peut-on au moins espérer que ce massacre obligera enfin les
Etats-Unis et l’Europe à se départir de leur indifférence afin d’obliger
les réfractaires à la paix, héritiers des victimes juives d’hier, à un
compromis plus équitable avec les victimes de la tragédie palestinienne
qui dure encore aujourd’hui ?
Source : MichelCollon.info | |